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 Hitchcock, vu par Nothomb (2007)

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Sylbao
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Sylbao


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MessageSujet: Hitchcock, vu par Nothomb (2007)   Hitchcock, vu par Nothomb (2007) Empty4/5/2009, 23:29

''Les Oiseaux'' d'Hitchcock par Amélie Nothomb

Hitchcock, vu par Nothomb (2007) 20070706.MAG000000349_11895_1


Amélie Nothomb : «On ne sait pas ce qu'est la peur aussi longtemps que l'on n'a pas attrapé un passereau dans sa main.»

" Alfred Hitchcock, né un 13 août, comme moi, mais à quelques années d'intervalle, est mon cinéaste préféré. Je ferais mieux de préciser que c'est mon cinéaste : s'il y a bien des films d'Alfred que je n'aime pas, voire que je déteste, il n'en reste pas moins qu'à mes yeux, Hitchcock est le cinéaste par excellence.
Semblablement, de tous les animaux de la Création, l'oiseau est celui qui m'obsède le plus : je m'identifie à lui jusqu'au dégoût. Aussi, quand on m'a proposé d'écrire sur Les Oiseaux de Hitchcock, il ne m'a pas fallu de paranoïa pour y voir un complot, car de tous les films de ce cinéaste obsessionnel, ce film, qui n'est pas mon préféré, est sûrement celui qui m'obsède au superlatif.
C'est le seul film du maître dont l'intrigue ne frappe pas. Elle déçoit. Si l'on y retrouve de nombreux motifs récurrents de son oeuvre - la belle blonde froide et distinguée, le gendre idéal, la mère abusive, une toile de fond bourgeoise très conventionnelle -, on y chercherait vainement la grandiose faille humaine, l'astuce narrative ou l'amour détraqué qui conduiront au fameux suspense hitchcockien. Quand on interroge les gens sur ce qu'ils ont retenu du scénario des Oiseaux, dans l'immense majorité des cas, la réponse est «rien» (et c'est l'unique film de Hitchcock qui provoque cette amnésie) : en compensation, tout le monde parlera du rôle joué par les oiseaux dans cette oeuvre. On en parlera non pas en termes de rôle narratif, car on ne sait généralement plus très bien ce que les oiseaux venaient faire dans cette histoire, mais en termes d'obsession : «Après avoir vu ce film, on ne regarde plus les oiseaux de la même façon : on a peur d'eux.»
L'idée géniale de Hitchcock est de construire son film autour de la peur inspirée par une espèce qui, à la base, n'en inspire aucune. Les oiseaux évoqués par Hitchcock ne sont ni des aigles ni des vautours, mais des inséparables, des mouettes, des corbeaux et, comble de l'innocuité, des moineaux. Personne n'a peur d'un moineau. Sauf après avoir vu la fameuse scène où une nuée de moineaux envahit la salle de séjour par la cheminée et attaque les personnages avec la dernière sauvagerie.
Pour ma part, j'avoue n'avoir pas attendu ce film pour avoir peur des passereaux. Et pour cause : j'ai peur de moi-même, et je m'identifie aux passereaux. L'oiseau, et en particulier le petit oiseau, est cette créature sans détermination. On ne sait pas ce qu'il fait, et il n'a pas l'air de le savoir non plus. C'est à ce titre que les anciens ont eu raison de voir en son vol l'expression du destin au point que l'auspice y lise le devenir des hommes : qui a beaucoup observé le vol des passereaux sait qu'il n'y a pas plus mystérieux.
Pourquoi l'oiseau inspire-t-il la peur ? Peut-être parce qu'il l'éprouve suprêmement. On ne sait pas ce qu'est la peur aussi longtemps que l'on n'a pas attrapé un passereau dans sa main : on sent alors ce qu'est un cœur qui bat à rompre sa carcasse, on ne sent même que cela, cette trépidation si rapide qu'une vie entière se consume en une minute dans sa paume.
Le film est d'autant plus réussi qu'il n'explique pas la soudaine agression des oiseaux : ce qui n'est pas expliqué n'est pas résolu, donc les oiseaux ré-attaqueront. L'œuvre s'achève sans que l'énigme ait trouvé sa clé : les oiseaux resteront une menace. Et il ne suffira pas de ne pas sortir pour s'en protéger puisqu'une cheminée peut servir d'accès à cette espèce subreptice. En cela, Hitchcock est fidèle ici au reste de son œuvre : c'est quand on se croit en sécurité qu'on l'est le moins. C'est chez soi, à la maison, que l'on court le plus grand risque. «Les meilleurs crimes sont domestiques», dit sir Alfred.
L'oiseau est, paraît-il, notre ancêtre : il est une théorie selon laquelle l'homme descendrait de l'archéoptéryx, sorte de volatile-reptile qui n'est pas sans rappeler le serpent tel que la peinture flamande du Siècle d'or le représente quand elle nous montre le péché originel. Pas besoin de s'y connaître en psychanalyse pour voir là plusieurs raisons d'avoir peur des oiseaux : peur de l'ancêtre, peur de l'origine, peur des profondeurs ténébreuses, peur de ce que l'on ne comprend pas. Hitchcock parvient à désengluer l'image de l'oiseau des mièvreries sulpiciennes qui s'en étaient emparé pour nous la restituer ici dans toute son inquiétante étrangeté. "



Le Figaro.
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