Entretien Amélie Nothomb :
« Le monde est effrayant »
RENCONTRE : L'enfant prodige des lettres est à Montpellier aujourd'hui. Jointe hier au téléphone, elle se révèle d'une simplicité rare. Du grand art.Vous dites de vos livres qu'ils sont parfois de fiction, parfois tirés de votre vie, dans quelle catégorie entre celui-ci ?
Dieu merci, c'est une histoire de fiction mais comme très souvent dans la fiction, j'y ai imbriqué des obsessions personnelles et le personnage de la romancière, Aliénor, me ressemble beaucoup.
Vous êtes pourtant loin d'être neuneu...
Ça, je ne sais pas, ce n'est pas si sûr ! (rires) Ce qui l'est, c'est que je me reconnais dans la romancière car c'est en écrivant que je découvre ce que je pense et ce qui se passe. Il faut que j'écrive sur la réalité pour en voir le danger. Je suis Aliénor mais j'ai dû me montrer capable d'affronter le monde extérieur. Disons que je suis la façade sociale
d'Aliénor.
Le monde ou la réalité vous semble si effrayant ?
Le monde tout court est certes fascinant mais c'est un tumulte effrayant. Il est chaotique et a à peine changé depuis le big-bang. Et encore, je suis très privilégiée puisque je peux l'apprivoiser grâce à l'écriture. Sans elle, je n'y aurais pas survécu. D'ailleurs, je me demande toujours comment font les autres, ceux qui n'ont pas l'écriture.
Vous a-t-on reproché de mettre en scène un attentat terroriste aérien ?
Je redoutais beaucoup que les gens y voient du cynisme mais nous vivons dans ce monde traumatisé du 11 septembre ; nous vivons dans ce monde de l'acte terroriste possible.
Dans votre roman, vous évoquez l'art de la simplicité dans l'écriture, ça vous tient à coeur ?
Tout à fait. On peut me lire de façon simple, rapide. Mais j'ai la chance d'avoir beaucoup de lecteurs qui lisent et relisent mes romans et rien ne me fait plus plaisir. C'est aussi pour cela que mes livres sont courts. Car c'est dans la relecture que l'on prend conscience de cette simplicité. Je suis moi-même une grande relectrice de livres.
Une écriture limpide mais émaillée de mots savants. C'est délibéré ou naturel ?
J'ai lu entièrement le dictionnaire à 13 ans et les mots me sont restés, ils me viennent donc naturellement. Mais pour en revenir à la simplicité, c'est tout un art. Certains s'imaginent que c'est facile, or il faut beaucoup d'expérience pour arriver à la simplicité.
Vous dites, à propos du Voyage d'hiver : il n'y a pas d'échec amoureux. Mais guère d'amour réussi non plus ?
C'est le mot échec que je discute. Tout comme le mot réussite d'ailleurs : à partir de quel moment un amour est réussi, sur la base de quels critères ? Il existe des catastrophes amoureuses, bien sûr, et quelqu'un qui n'a pas vécu de chagrin amoureux, ça n'existe pas. Pour autant, même si l'on en connaît la fin, si on nous proposait de revivre cet amour, on recommencerait. Donc, ce n'est pas un échec.
Vous allez rencontrer vos lecteurs. Vous le vivez avec plaisir ou appréhension ?
C'est un mélange des deux, à la fois plaisir et angoisse. Plaisir, parce que j'ai la chance d'avoir des lecteurs aimants et fidèles. Appréhension, parce que les gens viennent souvent avec une attente particulière et que j'ai envie d'être à la hauteur.
Recueilli par Diane PETITMANGIN