Depuis ma naissance, j’ai toujours partagé mes logis avec des cancrelats. C’est l’animal qui m’était destiné : après les gros cafards de l’Extrême-Orient, j’eus droit aux fines blattes new-yorkaises, puis aux énormes cancrelats du sous-continent indien. Très vite, j’ai été obligée de m’adapter : au lieu de haïr cette vermine, j’ai décidé de la trouver attachante. Elle l’est. Il faut avoir poursuivi le cafard en brandissant une semelle pendant des heures pour savoir combien cette espèce est intelligente et malicieuse. On écrasera plus facilement son dégoût pour la blatte que la blatte elle-même.
À onze ans, comme je voyageais dans un avion de la compagnie aérienne du Bangladesh, expérience périlleuse s’il en fut, une hôtesse attendrie offrit un chocolat à l’enfant que j’étais. J’y mordis et je découvris, noyé dans la pâte cacaotée tel un mafioso dans le ciment, un gigantesque cancrelat momifié. Oui, cet animal était mon destin.